2 juillet 2025 - [ Actualités ]
La France excelle en robotique chirurgicale, mais surtout dans ses laboratoires.
Alors que la recherche publique rayonne et que la chirurgie assistée par la robotique est de plus en plus adoptée, le passage à l’échelle industrielle reste un défi. Comment structurer une filière nationale capable de rivaliser à l’international, tout en répondant aux besoins des hôpitaux de proximité ? Et surtout : que manque-t-il pour que la robotique devienne un standard, et non une exception dans le bloc opératoire ?
Près de 260 robots chirurgicaux sont actuellement en service en France, principalement des systèmes Da Vinci. À titre de comparaison, on en dénombre plus de 6 000 aux États-Unis, si l’on prend en compte l’ensemble des robots chirurgicaux disponibles sur le marché.
Un tel écart interroge : comment expliquer une telle différence, alors même que la recherche française en robotique chirurgicale est mondialement reconnue ?

Plusieurs facteurs permettent d’éclairer cette situation : le coût élevé des équipements, l’absence de politique de remboursement dédiée, la fragmentation de l’écosystème d’innovation et des délais d’accès au marché plus longs qu’aux États-Unis. Malgré une recherche de pointe, la France peine à transformer ses avancées scientifiques en déploiement industriel à grande échelle, ce qui limite l’équipement des établissements de santé et l’accès des patients à ces technologies innovantes.
Dans ce contexte tendu, mais porteur d’espoirs, Robotics Valley et le Pôle des Microtechniques (PMT) ont coorganisé un séminaire technologique dédié à la robotique chirurgicale. L’événement s’est tenu le 26 juin 2026 à Chalon-sur-Saône, en partenariat avec l’Académie nationale de chirurgie et le Centre Hospitalier William Morey.
Une journée pour réunir praticiens, industriels, chercheurs et institutionnels autour d’un enjeu partagé : structurer une filière française de la chirurgie augmentée, performante, responsable et accessible à tous.
« Créer des marchés pour nos industriels » : l’appel de Jean-Claude Couffinhal

La journée s’ouvre par une intervention marquante du professeur Jean-Claude Couffinhal, président de la commission Innovation de l’Académie nationale de chirurgie. Il retrace l’évolution de la discipline, des gestes traditionnels jusqu’à l’émergence d’une chirurgie 4.0, une médecine augmentée par la robotique, la simulation, l’imagerie 3D, l’intelligence artificielle, la réalité virtuelle et l’apprentissage
Mais très vite, le propos se fait plus politique. Les disparités d’accès à la robotique entre établissements constituent, selon lui, une double fracture : sociale pour les patients, professionnelle pour les chirurgiens. Inspiré par les exemples danois et catalan, où une vision décentralisée, et une stratégie d’équipement concertée ont porté leurs fruits, il plaide pour une transformation en profondeur du modèle français. « Il faut créer des marchés pour nos industriels », insiste le docteur Jean-Claude Couffinhal. « Aujourd’hui, en France, la seule manière de juger le coût d’un robot, c’est le coût d’investissement de l’hôpital, alors que le coût de santé publique, qui est positif, n’est absolument pas observé. C’est une erreur économique complètement aberrante. »

Pour l’Académie nationale de chirurgie, la réponse passe par un projet structurant porté par son Think-Tank : “Chirurgie 4.0”, qui vise à créer un réseau d’écoles connectées, à renforcer la formation numérique des opérateurs, à favoriser les liens entre praticiens et industriels, et à positionner la France comme leader de la médecine augmentée.
Structurer une filière, faire émerger une communauté

Alexandre Benoit, pilote du Grand Défi « Robotique chirurgicale et bloc opératoire augmenté » à la Direction générale des entreprises (DGE), poursuit le cadrage stratégique. L’écosystème français est riche en compétences, mais encore trop fragmenté, avec des temps d’accès au marché trop longs pour séduire les investisseurs.
Il annonce l’ouverture prochaine d’un appel à projets pour des tiers-lieux d’expérimentation, conçus pour rapprocher chercheurs, cliniciens, startups et industriels. Objectif : accélérer la maturation technologique, mutualiser les ressources, et créer un environnement propice à l’émergence de solutions robustes, sûres, et conformes au système de santé français.
Son message est clair : « Pour développer une filière, cela commence par une communauté. »
Ces tiers-lieux visent à raccourcir les délais de mise sur le marché, sans compromis sur la qualité ou la sécurité. Leur succès reposera sur la capacité des acteurs à partager une vision commune et à transformer la fragmentation actuelle en une force collective au service de la médecine de demain.
Trois chirurgiens, trois spécialités, trois centres hospitaliers : la chirurgie change de dimension
La matinée s’est terminée par un moment d’échanges entre trois chirurgiens venus de trois établissements, aux spécialités distinctes, illustrant ainsi toute la diversité des pratiques hospitalières.
Dr Claire CHALUMEAU, chirurgienne viscérale au GHT Nord Saône-et-Loire, Dr Guillaume CHARBONNIER, neuroradiologue interventionnel au CHU de Besançon et Dr Leslie MADELAINE, chirurgienne thoracique au CHU de Dijon ont partagé leurs expériences concrètes de la chirurgie assistée de la robotique.
Au CHU de Dijon, trois robots Da Vinci sont déjà en service. Le dernier, mis en place en 2024, permet d’augmenter le nombre d’interventions assistées, de renforcer l’intégration de la robotique dans les pratiques existantes, et de multiplier les actes dans différentes spécialités chirurgicales.

À Chalon-sur-Saône, l’arrivée du robot chirurgical est le fruit d’un engagement collectif fort. Claire Chalumeau est revenue sur la genèse de ce projet, qui a mobilisé à la fois les équipes médicales du centre hospitalier, et les acteurs institutionnels locaux.
Une volonté commune qui a permis de franchir le cap de l’investissement, et d’intégrer la robotique dans les pratiques chirurgicales du territoire. Elle a également souligné que la robotique renforce l’attractivité des établissements de santé, en séduisant tant les chirurgiens, par l’innovation technologique, que les patients, par l’amélioration de la qualité des soins.
Sur le terrain, les chirurgiens constatent les bénéfices directs : meilleure ergonomie, gestes plus précis. Leslie Madelaine a notamment souligné que les robots réduisent les troubles musculosquelettiques (TMS), et permettent de réaliser des opérations plus longues et plus complexes.
Mais c’est peut-être en formation que l’impact est le plus spectaculaire.
Grâce à la captation vidéo systématique, les jeunes praticiens apprennent plus vite, en revoyant les interventions, en analysant les gestes. Le CH de Chalon-sur-Saône mise même sur une double console, permettant la transmission directe du savoir-faire au bloc.
Au-delà du geste, l’impact se mesure aussi en chiffres. La robotique permet une réduction nette des durées d’hospitalisation et des complications postopératoires.
Elle favorise ainsi le développement de la chirurgie ambulatoire. Les données PMSI montrent qu’en moyenne, une prostatectomie en chirurgie ouverte nécessite 6,6 jours d’hospitalisation, contre 3,2 jours en robot-assisté, et seulement 1,3 jour dans les centres experts. Selon une étude de l’AP-HP publiée en 2024, ce sont quelque 5 400 journées d’hospitalisation qui ont été économisées en deux ans, toutes interventions confondues.

Pour tous, la question n’est plus « faut-il y aller ? » mais « comment accélérer ? » L’avenir du bloc se dessine déjà autour du chirurgien augmenté.
Reste un point stratégique : le lien avec les industriels.
Le trio de praticiens insiste sur l’importance d’un dialogue ouvert, franc, pour coconstruire les futurs outils. Il ne s’agit pas seulement de s’adapter aux technologies, mais de les façonner au plus près du geste opératoire.
L’attente porte sur une robotique plus accessible, modulaire, évolutive.
Et demain ? Un bloc plus fluide, plus connecté, où IA et données en temps réel pourraient bien devenir les standards de demain, dessinant un environnement chirurgical toujours plus intelligent et intégré.
L’après-midi de l’innovation : miniaturisation, mécatronique et IA
L’après-midi s’est poursuivie avec une table ronde consacrée aux avancées technologiques en robotique chirurgicale.
Trois intervenants aux profils complémentaires ont partagé leur vision : Nicolas ANDREFF, cofondateur d’Amarob, François TATTU, business developer chez Statice et Olivier MATHONAT, Global Market Leader & KAM France Medical Robotics chez Stäubli Robotics.
Chacun a illustré, à sa manière, comment miniaturisation, mécatronique et intelligence artificielle façonnent une nouvelle génération de dispositifs médicaux, au service d’une chirurgie plus précise, plus sûre… et plus intelligente.

Nicolas Andreff a présenté le microrobot chirurgical d’Amarob®, spin-off du CNRS, une start-up deeptech issue du laboratoire FEMTO-ST et du projet européen µRALP. Ce système, équipé d’un dispositif, de moins d’un centimètre cube, conçu pour guider un faisceau laser lors de chirurgies des cordes vocales. Avec une précision de 70 microns, il répond aux exigences extrêmes des interventions en ORL.
C’est un exemple frappant de transfert réussi entre recherche fondamentale et application clinique.
François Tattu a mis en avant le savoir-faire de Statice, entreprise bisontine spécialisée dans la conception de composants médicaux sur mesure. L’accent a été mis sur les pièces dites « distales », celles au contact direct du patient, où l’intégration de solutions mécatroniques avancées dans des volumes très réduits est essentielle. Une expertise fine, qui répond aux attentes concrètes des chirurgiens.

Olivier Mathonat a apporté un regard plus global, en débutant par un panorama du marché mondial de la robotique chirurgicale, un secteur en forte croissance, mais encore largement dominé par des acteurs américains.
Il a ensuite présenté deux innovations majeures portées par Stäubli Robotics. Le handguiding, tout d’abord, permet une interaction directe, fluide et intuitive entre le praticien et le bras robotique. Puis l’intégration de la réalité augmentée, qui superpose en temps réel des informations cliniques dans le champ de vision du chirurgien. Deux avancées qui renforcent la précision et la sécurité, tout en replaçant l’humain au centre de l’acte chirurgical.
Au-delà des prouesses techniques, tous ont insisté sur un point : l’innovation ne peut émerger sans un écosystème local solide, capable de faire dialoguer recherche, industrie et besoins cliniques.
Mais si la miniaturisation et la mécatronique ont déjà franchi un cap, le véritable saut technologique à venir se jouera du côté de l’IA. Pour tendre vers une robotique adaptative, prédictive, voire semi-autonome, les défis restent immenses, tant sur le plan technique qu’éthique.
Reste une question : comment mobiliser l’ensemble de la filière pour franchir ensemble cette prochaine étape ?
Une dynamique européenne : TEF-Health, l’outil d’accélération
Jean-François MENUDET et Isabelle MARQUE ont ensuite présenté le projet européen TEF Health, lancé en janvier 2023 dans le cadre du programme Digital Europe.
Ce consortium de 51 partenaires répartis dans 9 pays européens est coordonné par la Charité de Berlin. Doté d’un budget de 60 millions d’euros, il vise à faciliter la validation, la certification et l’expérimentation des dispositifs médicaux intégrant robotique et intelligence artificielle, https://tefhealth.eu/.

Depuis avril 2025, TEF Health a accompagné plus de 30 projets innovants, en proposant un catalogue de plus de 300 services : accompagnement réglementaire, essais en environnement réel ou simulé, accès à des infrastructures de test et à un réseau d’experts multidisciplinaires.
Cette approche globale aide les porteurs de projets à franchir plus facilement les étapes critiques vers le marché, tout en assurant la conformité au règlement IA (AI Act). En soutenant des solutions à la croisière de la robotique et de l’IA, TEF Health renforce la compétitivité européenne en santé numérique et positionne l’Europe comme un acteur stratégique de l’innovation médicale fiable et certifiée.
Robotique en santé : la Bourgogne-Franche-Comté affirme ses ambitions

La table ronde de clôture a confirmé la vitalité de l’écosystème santé en Bourgogne-Franche-Comté. Renaud GAUDILLIERE, directeur général du Pôle des Microtechniques PMT a souligné le besoin d’un soutien accru à la robotique chirurgicale, encore sous-financée malgré son potentiel.
Frédéric CIRILLO, délégué régional de l’Agence Régionale de Santé Bourgogne-Franche-Comté, ARS BFC a rappelé l’ambition régionale : rendre l’innovation accessible à tous, sur tous les territoires.
Olivier SCHIMPF directeur technique de Robotics Valley a mis en avant la richesse de la filière régionale, nourrie par des compétences pointues en IA, mécatronique et dispositifs médicaux, et par l’émergence de start-ups issues de la recherche.
Il a précisé que Robotics Valley peut jouer un rôle central de catalyseur entre les besoins exprimés par les praticiens et les solutions industrielles, en facilitant le passage de l’idée à l’implémentation concrète.
Du côté académique, Kanty RABENOROSOA, enseignant-chercheur au laboratoire FEMTO-ST et Carlos MATEO-AGULLO chercheur au laboratoire Interdisciplinaire Carnot de Bourgogne ICB ont présenté leurs travaux sur les robots miniatures, moteurs de start-ups comme Amarob ou Persipio Robotics.
Christophe GUILLET enseignant-chercheur au Laboratoire d’Ingénierie des Systèmes Physiques et Numériques LISPEN a partagé une innovation immersive : un simulateur de chirurgie ORL alliant réalité virtuelle, IA et validation clinique, développé avec le CHU de Dijon.
Une dynamique collective qui confirme que la région est prête à passer à l’échelle.
Remerciements

Nous tenons à remercier Stéphane KIRCHE et les équipes du Centre Hospitalier Chalon-sur-Saône W. Morey pour leur accueil, leur disponibilité, ainsi que pour la confiance qu’ils nous ont accordée pour l’organisation de ce séminaire.
Un grand merci à tous les intervenants pour la qualité de leurs présentations et des échanges très enrichissants.
Une mention spéciale pour l’équipe Intuitive, pour les démonstrations du robot Da Vinci du Centre Hospitalier Chalon-sur-Saône W. Morey, ainsi qu’à Charles FRANCOIS pour ses explications claires et les échanges précieux et constructifs qui ont enrichi cette journée.
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